Dominique PIAZZA

Le parcours de vie de cet homme issu de l’émigration italienne m’a intéressée pour quatre raisons : élevé dans le quartier d ‘Endoume, marcheur avec les Excursionnistes Marseillais, inventeur de la carte postale photographique, créateur du théâtre Silvain à Marseille. Je suis donc partie sur les traces de Dominique Piazza dans ce quartier qui fut le sien, qui est celui de ma famille depuis 1860.

Balade: dans les pas de Dominique Piazza

Entre Bompard, la place St Eugène et le vallon de la Fausse Monnaie, les lieux qui ont vu grandir cet enfant du quartier :

Le quartier d’Endoume en 1860

La place Saint-Eugène : là stationne un omnibus tiré par 2 chevaux devant un petit tertre surmonté d’une croix, une école tenue par les Frères des Écoles Chrétiennes, quelques réverbères alimentés au gaz de houille éclairent faiblement la chaussée en terre battue, et quelques commerces : Boulangeries (2), Pharmacie, Vins et liqueurs, Comestibles, Café Richelieu, Cordonnier, Épicerie, Boucherie, Confiserie, Coiffeur, Lingerie-mercerie, Layetier (fabricant de layettes : petites boites, mais aussi coffres, caisses, emballages en bois et cercueils).

La rue d’Endoume entre Bompard et la place de la Croix (place st Eugène) : côté impair : Vins, Huiles et vins, Boulangerie côte pair : Comestibles, Briques, Boucherie, Vins, Tonneliers, Cordier, Coiffeur, Restaurant.

Bd Marius Thomas : la colline à l’état brut avec un gros rocher en son milieu

Bompard : s’arrête à la rue Rigaud, mais compte quelques commerces : Vins et liqueurs (2), Vins et huiles, Mercerie, Boulangerie, Épicerie, Comestibles et deux industries : les fourneaux Sauvaire et la Blanchisserie maritime.

Rue Va-à-la-mer : Marchands de vin (2), un horticulteur, un épicier, un rocailleur, un apiculteur

Rue Bon Voisin : un restaurant, un cordonnier, un marchand de bois et charbons.

Du quartier des Carmes au village d’Endoume

Francesco PIAZZA et Maria RICCA, natifs de Ligurie, se sont marié à Marseille le 12 mai 1855. Leurs deux premiers fils naissent Rue de la Chaîne, Jean Dominique Pascal en 1858, Jean Dominique Eugène en 1860. Mais le projet de percement de la rue Impériale (République) doit faire disparaître 60 rues; 1000 familles sont dans l’obligation de déménager.

Les Piazza quittent donc en 1860 le quartier des Carmes pour le village d’Endoume comme d’autres familles italiennes, les Dellepiane en particulier.

Le regroupement familial

La maison achetée en indivis au N° 3 de la rue Nicolaïs par Francesco et ses beaux-frères Ricca (Jean, Guillaume et Baptiste) est bien petite pour loger une douzaine de personnes. Mais la tribu enthousiaste partage tout : la table, le couchage et la remise en état de la maison.

La rue Nicolaïs compte en 1860 que quelques maisons et 4 commerces : un marchand de vins, une épicerie, un comestible, un marchand de bois et charbons.

En 1871, Francesco achète le terrain voisin, rue Sainte-Eugénie, et en quelques mois, ce maçon aidé par ses beaux-frères, y construit sa maison.

La rue Sainte-Eugénie compte alors une trentaine de maisons et presque autant de commerces : Alimentation, Ebéniste, Restaurateur, Friteur, Tailleur, Vieux cuirs, Plomberie-zinguerie, Café, Mercerie, Liquoriste, Rocailleur, cordonnier, Coiffeuse, Boulangerie, Tailleur de pierre et épicier, fabricant de fours, Fruits et légumes, Vins, Balancier, Liquoriste, Bois et charbons, Épicerie, Maître charretier, Laiterie, Tonnelier, Liqueurs et comestibles.

L’école, place St Eugène

Dominique fréquente cette école créée par les Frères des Écoles Chrétiennes en 1820, mais de façon très irrégulière, car il doit garder ses frères et sœurs lorsque sa mère travaille (elle est porteuse).

Comme ses camarades, il surnomme les frères « les papillons noirs », une partie de leur vêtement flottant toujours au vent.

Le jeune garçon, conscient de son retard scolaire, suit les cours du soir donnés à l’école après sa journée de travail.

Note : Jean-Baptiste de La Salle, fondateur de l’Institution des Frères des Écoles chrétiennes crée en 1706 la première école délivrant à Marseille un enseignement totalement gratuit aux enfants des familles défavorisées (à l’emplacement de la carrière antique découverte, au pied du rempart de la rue des Lices).

L’Oeuvre

Le bâtiment sis 210 rue d’Endoume, après avoir abrité les salaisons de Joseph ETIENNE, puis le Cercle Mireille (tenu par ses fils) a été mis à la disposition de la paroisse Saint-Eugène par madame Baudouin-Gounelle qui n’appréciait pas les bals publics qui y avaient lieu.

François Piazza maçon, à l’occasion de travaux qu’il effectue dans ces locaux paroissiaux, parle au frère Désiré de la Communion de son fils (qui vient d’avoir 12 ans). Le curé de la paroisse, l’abbé Maille, hésite car le garçon n’a jamais suivi les cours de catéchisme.

Mais le Frère Désiré s’engage à lui apprendre quelques prières ! Et 3 semaines après, ayant appris Pater… Ave… Confiteor… etc. Dominique peut faire sa Communion.

Comme tous les garçons d’Endoume, il fréquente l’Œuvre le jeudi et le dimanche. Constatant l’intelligence et le désir d’arriver du garçon, le frère Désiré lui apprend la musique. Ce qui lui permet d’être engagé par la paroisse N.D. des Neige de Bonneveine pour tenir l’harmonium le dimanche.

 Des petits boulots au travail définitif

Le travail du père, maçon, ne suffit pas à entretenir cette famille de 8 personnes ; la mère participe en faisant des ménages dans les maisons bourgeoises ; le fils aîné Jean, est employé comme fileur de crin à la corderie de Marius THOMAS (actuelle imp. Bec) à 2 fr./jour. Dominique l’y rejoint de temps en temps comme « tourneur de roue », apportant ainsi sa contribution aux recettes de la famille.

Il aide aussi un voisin à vendre « Le Petit Marseillais » à la criée (quotidien créé en 1868, qui fut surnommé le « journal à un sou » à cause de son prix de vente alors que les autres journaux coûtaient 2 sous).

Dominique tient l’harmonium à l’église de Bonneveine et gagne ainsi 5 fr. par dimanche ; il reverse 2,50 fr. à son père qui doit payer un manœuvre pour le remplacer sur son chantier ces jours-là.

Le coût de la vie en 1870 : le litre de vin 0,55 centimes, le quotidien 5 centimes, la journée d’un ouvrier 2 fr (1 sou correspondait à 5 centimes).

D’employé à patron

A 14 ans -le 24 juin 1874- il entre dans la vie active comme commis en écriture dans une maison spécialisée dans l’importation des raisins secs avec la Grèce et la Turquie.

A la mort de son patron, Charles Fleury, il lui succède, et prend son jeune frère Marius comme associé (1897).

A la mort de celui-ci (1899), il s’associe avec Gilles RIZZI, (qui habitera plus tard la villa Le Paradou, 83 rue Va-à-la-mer).

Création de la première carte postale photographique

Son ami d’enfance, Antonin BILLAUD, exilé en Argentine lui ayant demandé des photos de Marseille, Dominique fait exécuter des tirages. Les trois envois successifs lui reviennent 7, 8 et 9 francs.

Aussi cherche-t-il un moyen économique pour expédier des photos à moindre coût ; il les regroupe sur la face vierge des cartes postales existantes. Le 4 août 1891 naît ainsi la première carte postale photographique.
(La carte avec photos coûtait 10 centimes; 1 franc de l’époque équivalait à 3,2 € actuels).

Sur une de ces premières cartes se trouvent en médaillon 2 enfants vêtus du costume traditionnel grec : Paul et Marie Louise Coulon. Paul est né en 1883 à Patras ; on peut imaginer que Dominique a connu ses parents lors de son séjour en Grèce (1880-1882) où son patron l’avait envoyé afin de surveiller sur place le commerce des raisins secs, comme le montre sa fiche de recensement militaire ci-dessous.

Dominique ne déposa pas de Brevet pour son invention qui fut pillée, d’autres pays ayant trouvé un procédé de reproduction plus économique que la phototypie utilisée par Piazza. « C’était le temps heureux de la phototypie » écrit Dominique Piazza.

La phototypie « Ce procédé de reproduction aussi appelé photocollographie est un précédé de reproduction photomécanique aux encres d’imprimerie, dans lequel on fait usage de substances colloïdes (gélatine, albumine, bitume de Judée) étendues sur des supports variés (verre, cuivre, pierre, zinc), et rendues aptes à recevoir l’encrage« .

Président-fondateur de la Sté des Excurs Marseillais

Dominique Piazza participe à la 1ere excursion collective organisée le 23 janvier 1897 par Paul Ruat (libraire sur la Canebière), comme lui, marcheur amoureux des beaux paysages de Provence.

Le 28 mars la 1ere assemblée générale constitutive se tient à la Sainte- Baume, au lieu-dit «La Glacière» au cours de laquelle Dominique Piazza est élu président de la Société des Excursionnistes marseillais.

Les marcheurs portent des souliers cloutés, leur sac est appelé biasso (besace). Les dames portent une jupe longue, un chapeau avec voilette. Les hommes sont vêtus d’une chemise et d’une cravate.

Mon père, Bapt Bonavia, devenu président des Excurs en 1963, a été surpris de retrouver le nom de son grand père Alessandro, parmi les premiers inscrits de la Société. La famille Filippi était voisine de la famille Piazza, rue Sainte-Eugénie (ci-dessous le recensement de cette rue en 1901); mon arrière grand père a été inscrit à la socité nouvelle, mais je doute fort qu’il ait marché avec les Excurs.

En 1912, tout en restant fidèle aux Excurs, Dominique Piazza crée « La Famille », une autre société organisatrice d’excursions auquelles s’ajoute un rôle social.

 Créateur du théâtre de la Nature à Gémenos (1920-21), puis du théâtre Silvain (1923)

Le théâtre de la Nature

Dominique Piazza et son ami le tragédien Eugène Silvain découvrent en 1920, au cours d’une balade à Gémenos, un site naturel à l’acoustique surprenante ; un an plus tard un théâtre de 2500 places est aménagé dans ce coin de verdure de la vallée de Saint-Pons, aux frais de Piazza.

Doc «  100 ans de la vie du village » réalisée sous l’égide du Comité des fêtes de la « St.-Eloi 1986 »

Pour la petite histoire : le portique du théâtre sculpté par un prisonnier de guerre allemand en 1945, a été emporté en 2003 par le camion qui amenait les décors du spectacle « Pietragalla » !

Ces photos proviennent des archives du cabinet d’Architecte Bonnet-Gaubert qui a effectué les travaux de rénovation du portique. L’adresse du cabinet était rue de la République jusqu’à ce que cette voie soit renommée rue Dominique Piazza (en 2020).

A noter que G. Bonnet est natif de Bompard (où a vécu enfant Dominique Piazza), et que le grand-père de M. Gaubert a participé à l’excursion au pic de Bertagne avec Dominique Piazza en 1931 !

Le théâtre Silvain

L’histoire se reproduit l’année suivante : après un déjeuner au Vallon de l’Oriol, (où Silvain loue une maison de vacances), les deux hommes font une promenade sur la Corniche, lorsque, arrivés au vallon de la Fausse-Monnaie, ils sont surpris par l’acoustique extraordinaire du lieu : les voix des joueurs de boules montent à eux distinctement. (Curieusement, le nom originel du lieu était vallon du silence). https://labuttebompardfr.wordpress.com/wp-admin/post.php?post=727&action=edit

Comme beaucoup d’habitants du quartier, ma grand mère, dans les années 30, assistait aux spectacles donnés dans ce théâtre en plein air, assise sur une couverture posée dans la pinède.

Un homme engagé

Dominique PIAZZA a assumé de nombreuses fonctions (administrateur, juge, président, secrétaire…) dans des instances civiles ou religieuses de la ville et aussi de son quartier.

Conférencier

Dominique Piazza est membre de plusieurs sociétés, cercles et associations pour auxquels il donne des conférences

Les récompenses

La reconnaissance de la société est importante pour cet homme qui n’a pas fait d’études et a progressé grâce à son intelligence, mais son attente est souvent déçue.

1884 : Une simple mention honorable pour son travail « Statistique et Topographie du canton de Martigues »

1893 : La Société de Statistiques de Marseille ne lui accorde qu’une médaille de bronze (bien décevante) pour son invention : la carte postale illustrée.

1922 : la reconnaissance enfin; il est promu officier de l’Instruction publique, puis reçoit les Palmes académiques.

1929 : il reçoit la Légion d’Honneur

Nécrologie

Quelques mois après le 50e anniversaire de la création de la Carte Postale Illustrée, Dominique Piazza décède. Les articles de journaux sont nombreux; celui paru dans Le Petit Marseillais souligne que cette invention n’a rapporté à son auteur ni argent, ni gloire.

Une plaque commémorative a été posée sur la façade du 97 bd Longchamp, immeuble cossu où a vécu cet homme aux nombreuses responsabilités; je déplore qu’aucune rue ou place à Endoume ne rappelle aux passants que l’homme devenu célèbre a vécu toute sa jeunesse dans ce quartier.

Laisser un commentaire