Les Juifs chassés d’Europe centrale
L’hôtel Bompard réquisitionné par la Préfecture des B-du-R accueille à la fin de l’année 1940 une centaine de femmes et enfants juifs chassés d’Europe centrale, les hommes étant détenus au camp des Milles. Ces femmes vivent à l’hôtel dans des conditions précaires, les enfants cependant vont à l’école. En août 1942, elles sont contraintes de rejoindre leurs maris aux Milles, certaines emmènent leurs enfants, d’autres, sur les conseils de l’agent préfectoral, les laissent à une association qui les aidera les à rallier l’Amérique.
Cet épisode douloureux est décrit dans un livre américain sur l’histoire des réfugiés et intégré dans deux romans.
The Hunted Children de Donald A Lowrie.
(Les enfants pourchassés)
Présentation du livre et de l’auteur.
L’auteur a travaillé pendant les deux guerres mondiales pour soulager la souffrance des réfugiés, des civils internés et des prisonniers de guerre à travers l’Europe.
Durant la dure période de 1940 où les Allemands avançaient vers Paris, un flot de réfugiés incomparable dans l’histoire fuyait sous le chaud soleil de juin jusque dans le Sud ; la France, fidèle à son idéal, accepta ce flot humain et quand la défaite arriva, le nombre des étrangers en France était 1/10 du total de la population.
Donald A Lowrie dans The Hunted Children raconte l’histoire non seulement de ces réfugiés mais aussi du courageux peuple engagé dans une œuvre de secours avec comme résultat une dizaine de milliers de vies sauvées. Les organisations travaillaient à sauver les sans secours des camps de concentration et d’adoucir le sort de ces internés. La vie était une ronde infernale d’efforts pour procurer des visa…contrefaire des passeports…faire passer en contrebande au-delà des frontières soldats et civils…cacher les réfugiés. Et il y avait des efforts particuliers en faveur des enfants, orphelins quand leurs parents étaient tués ou déportés vers l’Est par les Allemands, au temps de l’occupation totale de la France, quand héberger un Juif était un acte de trahison.
Texte de D A Lowrie traduit de l’anglais.
Le 13 août 1942,nous envoyâmes ce câble au quartier général de JOC à New York :
« 3600 Juifs des camps d’internement de la France Libre ont été envoyés à l’Est, destination exacte inconnue. De nombreuses arrestations dans les hôtel de Bompard et de Levante à Marseille ; 200 femmes prises aux Milles vers la déportation. Les ordres touchaient les hommes et les femmes entre 18 et 65 ans. Des mères avaient choisi de prendre avec elles leurs enfants de plus de 5 ans ou de les laisser à des organisations de sauvetage…le quota exigé était de 10000, d’abord dans les camps, ensuite dans les groupes de travailleurs. Si ce quota n’était pas atteint, les arrestations auraient lieu dans les villes ».
Dix jours plus tard ce que nous craignions depuis des mois se produisait. Nous savions que les Allemands avaient transporté des centaines de Juifs de la zone occupée vers une destination inconnue, mais c’était la première fois que les nazis étaient entrés dans des lieux que eux et Pétain appelaient la France Libre.
Paris-Soir expliquait que quatre mille juifs de la zone occupée et que le même nombre de la zone libre avaient été déportés à l’Est, comme une leçon aux juifs complices des terroristes et des adeptes du marché noir.
A Marseille, l’ensemble de ces raids dans les hôtels en août nous atteint avec une grande force. Les deux hôtels modestes, dont nous parlons dans notre câble étaient principalement occupés par des Juifs qui possédaient des moyens suffisants pour éviter l’internement dans des camps. Les malheureux étaient sortis de leurs lits à quatre heures du matin, ayant juste le temps de s’habiller, informés d’avoir à prendre une couverture et de la nourriture pour la journée. Conduits dans des camions jusqu’à la gare, jetés dans des wagons de marchandises jusqu’aux Milles. Ce qui arrivait là était terreur et douleur difficile à imaginer.
Des protestations du monde entier arrivèrent à Vichy. J’ai demandé un rendez-vous à Pétain, le résultat fut nul. Le vieux maréchal ne pouvait rien faire, totalement contré par Laval. La tirade de ce dernier contre les Juifs montrait qu’il approuvait les mesures atroces prises à leur égard. »
Un chocolat chez Hanselmann de Rosette Loy.
« Après, il n’avait pas voulu parler de lui. Même pas de ce mois d’août 1942 quand il s’était retrouvé à Marseille devant l’hôtel Bompard pendant que la police française embarquait les femmes et les enfants pour les déporter au camp des Milles.
Ce matin d’août 1942, il s’était retrouvé devant le cordon de policiers qui barrait l’accès à la rue de l’hôtel Bompard. Dans l’hôtel, des femmes et des enfants étaient enfermés, essentiellement des juives allemandes et des pays de l’Europe de l’Est. C’était un lundi…
Ils étaient entrés en contact avec les Eclaireurs israélites de France et l’O.S.E., un organisme juif de secours à l’enfance…La mère avait été transférée à Drancy, en zone occupée…Ensuite, ils s’étaient adressés à l’ H.Y.C.E.M. qui était un organisme international moins vulnérable à ce moment-là ».
Aldo et Sarah de Nicole Ciravegna.
« La rue des Flots Bleus, c’est un joli nom, remarqua Sarah d’une voix heureuse. Je n’aime pas cette rue dit la petite Rose. Elle me fait peur. Sarah vit une adorable rue toute blanche sous le ciel bleu. On devinait de beaux jardins derrière les murs et les toits roses des villas mettaient des lueurs d’aurore entre les branches des pins qui dépassaient le mur. La rue était paisible comme un tableau.
Ecoute, dit la petite. Une rumeur leur parvint, confuse, impressionnante. C’était le vacarme sourd et rauque que ferait une foule enfermée dans une prison. Sarah aperçut alors, presque au bout de la rue des Flots Bleus, l’unique et insolite immeuble de ce quartier de villas…
Quand Sarah et l’enfant ne furent plus qu’à une centaine de mètres, ce fut le déchaînement. Toute la maison hurlait avec des pleurs, des cris et des appels. Aux fenêtres les têtes s’agitaient, des bras jaillissaient et faisaient des signes éperdus. Un carré de papier fut jeté par l’une de ces mains désespérées et il descendit en voltigeant le long de la façade. Sarah s’élança, le regard fixé sur le papier que le vent écartait du mur. Elle tendit la main vers lui, et poussa un cri : de la maison sortait en trombe un Allemand, la mitraillette au poing. Un énorme chien la heurta. Derrière elle, un bruit de bottes galopa sur le trottoir, puis un autre retentit sur sa gauche. En quelques secondes elle était cernée par trois sentinelles. Elle s’arrêta affolée. Toute la maison au-dessus d’elle hurlait. Sur le trottoir, le petit papier blanc. L’Allemand à la mitraillette la ramassa. Sarah sentait contre ses jambes le souffle chaud du chien. L’Allemand déchira le billet, jeta les débris par terre et les racla avec sa botte jusqu’à ce qu’ils soient émiettés, écrasés dans la pierre du trottoir. Puis il haussa les épaules et rentra dans l’hôtel. Alors le hurlement de toutes les fenêtres tomba sur elle comme un tourbillon. La petite fille se mit à pleurer. Sarah courait, seule au monde, avec ce cri à ses trousses, dans une rue de cauchemar…les villas heureuses avaient disparu, englouties derrière ces murs terrifiants, blancs comme des sépulcres. »
L’auteur a utilisé les souvenirs d’enfant de R. Malerba, professeur comme elle au collège Michelet.
Les Juifs français
Au delà de l’Histoire et des nombreuse lois anti-juives qui se succèdent entre 1940 et 1944, les habitants se souviennent des histoires vécues au sein même de notre quartier : calvaire des familles juives, actes de solidarité des voisins, des enseignants.
Mr et Mme Ben Saudo tiennent la chemiserie « Le Gaspilleur » rue d’Endoume. Lorsqu’ils sont arrêtés, leurs deux plus jeunes enfants fréquentent le pensionnat Ste Thérèse de Lisieux, rue Aicard ; aux policiers français venus les chercher Mlle Ventujol répond qu’ils sont absents ; elle les cache un certain temps. La fille aînée, élève à la rue de la rue Clothilde est aussi protégée par la directrice de cette école, mais sachant sa famille détenue, elle craque et va se livrer aux bourreaux.
Mr Malafré agent de police, informé de la grande rafle qui se prépare, prévient à temps ses voisins, Mr et Mme Pariante qui peuvent fuir le 19 rue Berle par les jardins.
Note : une dénonciation de Juif rapporte « la carlingue » à son auteur c.à.d. 800 frs (le salaire d’un policier est alors de 1800 frs).
Mr Gallorini, complète les maigres revenus de son épicerie 39 bd Bompard, par des travaux de jardinage impasse de la Lune, lorsqu’il entend des murmures derrière les feuillages ; il s’approche doucement et saisit quelques mots en italiens. Sa connaissance de la langue lui permet de converser avec le couple juif caché dans une grotte derrière un rideau de lierre, et qui espère avec ses pièces d’or se procurer un prochain passage vers l’Amérique.
