Suite à deux parutions sur les réseaux : la première montrant l’entrée d’un bâtiment à l’angle rue Cdt Lamy/avenue de la Corse, l’autre évoquant un « ancien couvent », rue de l’Abbaye, j’ai tenté de faire l’historique de ces bâtiments qui font face à l’abbaye dans la dite rue, à partir des plans anciens de la ville, de l’Indicateur marseillais, du site de l’I.G.N.


L’abbatiale au temps de la Révolution
Les bâtiments de l’abbaye qui avaient été transformés en magasin à fourrage pour les armées en 1794, étaient inutilisés au début du XIXe siècle et en fort mauvais état; ils furent démolis en 1802 à des fins d’urbanisation par ordre du préfet Charles Delacroix. La rue de l’Abbaye fut ouverte sur les dépendances de la basilique et classée en 1855.
Témoignages du peintre Joseph Martin Marchand.
« face aux dégradations engendrées depuis la Révolution française par les Français sur leur propre patrimoine, J. M. Marchand entreprit la sauvegarde des monuments sous la forme d’un portefeuille de dessins. Pour prendre à la hâte ces croquis dans un contexte particulièrement délétère, il dut recourir à des subterfuges, tels que s’engager dans l’armée et se porter volontaire pour monter la garde parmi les soldats ».

Le peintre a noté sur son dessin :
« Vue du cloitre de l’abbaye de St Victor. L’entrée du temple quand j’ai copié le cloitre de l’abbaye de st Victor, c’était le logement des soldats appelés allobroges… toutes les colonnes étaient en marbre blanc que les Italiens nomment Salloni….n°1 l’entrée du temple n° 2 porte pour descendre à église… n°4 la prévôté.
Plusieurs plans de l’abbaye (en coupe) sont visibles ici : http://lieuxsacres.canalblog.com/archives/2009/05/12/13998012.html
Un dessin conservé par la Chambre de Commerce permet de voir, par superposition, ce qu’il reste en 2024 de l’abbatiale telle qu’elle était avant 1789.

La vie monastique
L’importance de cet ensemble abbatial aujourd’hui disparu amène beaucoup de question quant à la vie des religieux dans ces nombreux bâtiments.
» À l’heure actuelle, dans la topographie marseillaise, dominant la rive sud du Vieux Port, la partie visible se réduit à l’ancienne abbatiale médiévale dont la composition s’étage entre XIIe et XIVe siècles. Elle était alors complétée au sud par le cloître, au nord par la demeure de l’abbé. De part et d’autre de l’église, la disposition rappelle les deux sources de la vie monastique, la forme cénobitique* pour le cloître, la forme érémitique** pour le logis abbatial qui en exprimait évidemment une forme dévoyée. »
.. » De telles basiliques n’avaient pas non plus pour fonction propre d’accueillir des moines et elles n’étaient pas sous le gouvernement de ceux-ci, mais sous celui de l’évêque. Parfois, des formes de vie monastique diverses s’y rattachèrent de façon annexe, mais jamais de façon principal.
*Cénobitique : vient de cénobite (religieux qui vit en communauté).
**Érémitique : qui vit en ermite
La légende du tunnel sous l’abbaye
Au cours de mes recherches sur l’abbaye St Victor, j’ai trouvé cet article datant de 1902, évoquant une légende marseillaise qu’une voisine m’avait jadis racontée : elle disait qu’un tunnel existait bien qui partait de l’abbaye St Victor et rejoignait La Major en passant sous le Vieux-Port; elle appuyait ses dires en affirmant que « même la Vierge y était passé » !!!

Cette légende est issue de l’esprit coquin des Marseillais qui se plaisaient à imaginer les religieux de l’abbaye St Victor allant rejoindre secrètement les Bénédictines du couvent St Sauveur (place de Lenche).
Rue de la Maîtrise
Le presbytère a une façade sur une rue qui avait pour nom : rue de la Maîtrise (classée en 1855, renommée rue du Cdt Lamy en 1902).
La maîtrise dirigée par le maitre de chapelle forme les enfants de chœur de la paroisse, leur enseigne à chanter… à servir la messe.

Cette rue a été ouverte à la place du dourmidou (mot provençal signifiant dortoir); ce lieu servait de logement et de dortoir à grand nombre de religieux.
Des fouilles ont été entreprises en 1973 sur le terrain vague sis dans cette rue, révélant des vestiges funéraires enfouis dans un ancien vallon comblé.
« Une partie des remblais utilisés proviennent du démantèlement des bâtiments monastiques et comportent des blocs taillés de belle facture ».
« Durant le Moyen Âge, ce vallon est devenu agreste, recevant sans doute des plantations de vigne : les archives écrites évoquent un « clos de vigne » ou un « grand champ des moines ». Un mur d’enclos figurant sur un plan du XVIIIe s., mais sans doute construit antérieurement, a été retrouvé dans l’un des sondages. De façon sans doute concomitante à la destruction de l’abbatiale après la Révolution et dans le cadre de la toute nouvelle urbanisation du quartier, le vallon s’est vu ensuite intégralement comblé pour devenir insoupçonnable aujourd’hui. Une partie des remblais utilisés proviennent du démantèlement des bâtiments monastiques et comportent des blocs taillés de belle facture ».
cf : https://www.inrap.fr/165-rue-sainte-57-rue-du-commandant-lamy-3284
Ce que l’on peut voir plus haut sur le dessin comparatif 1789-2024.
Les bâtiments rue de l’Abbaye
Un grand bâtiment de type industriel ainsi que le presbytère ont été construits quelques années après l’ouverture de la rue.

Le domaine la Félicie. En 1871 il devient « le siège d’un entrepôt public sous les clefs de l’administration de l’octroi » (qui y encaisse des droits de magasinage).
Le bâtiment accueille aussi des sociétés de bienfaisance.

Le presbytère de Saint-Victor. Le recteur est domicilié à la rue Dejean avant la construction du nouveau presbytère au N° 3 de la rue de l’Abbaye, en 1860. Le style de cet immeuble est différent des autres bâtiments de la rue (de type industriel).

Vestiges du passé.

Au-dessus d’un rideau de fer au N° 1 de la rue de l’Abbaye, une pancarte rouillée témoigne de l’activité passée du commerce « DESIGN & CHOCOLAT » qui eut sa vitrine au 6 avenue de la Corse de 2006 à 2012 (association de « Marseille-Design-Méditerranée » et « La-boutique-du-chocolat »); elle est surmontée par le reflet du vestige vieux de deux siècles qui lui fait face.

Belle recherche, toujours très documentée. Merci.
J’aimeJ’aime