L’usage des toits en tuiles remonte aux Romains : ils utilisaient la tegula (qui signifie en latin recouvrir), destinée au couronnement du toit, et l’imbrice, destinée au cheminement de l’eau.
En Provence, la fabrication des tuiles fut importante principalement à Marseille et à Aubagne, mais aussi à Arles, Lambesc et Auriol.
les tuileries de Marseille
L’utilisation de l’argile du Bassin de Séon (l’Estaque, Saint-André, Saint-Henri) pour la fabrication des tuiles, briques et carreaux est vieille de plusieurs siècles; les tuileries se sont installées près des gisements en formes de cavités.
L’argile extraite à la fin de l’automne est étendue sur une grande surface afin de lui faire subir une sorte de pourrissage; puis on la pétrit. Les tuiles formées d’un mélange de terre argileuse et de sable réduit en pâte fine et homogène, et qui doit être exempt de matières calcaires, sont moulées, séchées, puis mises au four. Selon leur forme, on distingue les tuiles canal ou romaines (les plus utilisées en Provence), les tuiles plates, les tuiles en dos d’âne, les tuiles plates à rebord.
Sur le cadastre napoléonien de 1820 sont répertoriées 17 tuileries sur 3 zones : Fontaine des Tuiles à l’Estaque, St Henri et Tour Somaty-St Henri. Cette activité se poursuit de façon artisanale (tuiles faites à la main) jusqu’à l’industrialisation des usines vers 1870 (mécanisation des tuiles).

L’impact sur l’environnement : les épaisses fumées qui sortaient des nombreuses cheminées brulaient les cultures environnantes et intoxiquaient les habitants. Les poussières et déchets transportés par le vent arrivèrent à colorer la mer. L’extraction à outrance de l’argile causa un premier glissement de terrains dans la nuit du 6 au 7 novembre 1995 qui éventra une partie du collège Henri-Barnier. Trois ans plus tard le cinéma UGC, aux fondations fragiles, ne résista pas; il dut être fermé puis détruit en 2003.

La dernière tuilerie- Monier – implantée à Saint-André depuis plus de 150 ans, et qui a connu plusieurs propriétaires, cessera son activité en 2026 pour « des raisons économiques ».
les toits de Marseille
Sur les vues aériennes de la ville dominent les tons chauds des toits, » couleur brique ».

Les toits de Marseille, bien qu’ils n’aient pas été glorifiés (à l’instar de ceux de Paris), offrent une large palette de tons ocres due aux différentes variétés des tuiles qui les couvrent, dont l’intérêt pour les photographes, évolue tout au long de la journée.



Mise en valeur des toits en tuiles
En 1980, le Syndicat des Fabricants de Tuiles de Provence-Côte d’Azur-Corse organise un 4e concours photos destiné à mettre en valeur les toits en terre cuite de la région.
« Depuis des siècles les tuiles de terre cuite ont permis de mettre à l’abri tout type d’architecture; c’est la tuile qui donne en particulier à nos toits de Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse ces teintes agréables qui les rend toujours vivants et colorés ».

le regard des peintres
Cézanne a séjourné plusieurs fois à l’Estaque. à partir de 1860; s’il remarque le paysage industriel et en retient les cheminées, il s’intéresse surtout aux panoramas qui lui offrent le contraste qu’il recherche; il écrit : « C’est comme une carte à jouer… des toits rouges sur la mer bleue. »

Georges Braque, artiste « fauve », se rend à l’Estaque entre 1906 et 1907 pour peindre comme Cézanne, sur le motif; il cherche à traduire dans ses peintures la lumière et l’atmosphère propres au Midi.

Raoul Dufy a vécu à l’Estaque et s’est intéressé à l’architecture industrielle du lieu. En 1908 il peint les usines à la façon des Fauves, mais aussi inspiré par Braque et Cézanne.

André Derain a contribué au cubisme et au fauvisme; dans ses tableaux. Il réside à Cassis en 1908, puis à Martigues. Les maisons aux toits de tuiles sont tout d’abord cachées derrière le motif principal, les arbres, puis se fondent dans le paysage.

les descriptions d’Émile Zola
Émile Zola a séjourné à l’Estaque en 1877. Dans « Anaïs Micoulin« (1879), il décrit le lieu, inspiré par les peintures de son ami Cézanne
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« … l’Estaque, bordée d’usines qui lâchent, par moment, de hauts panaches de fumée… Les pins tâchent de vert sombre les terres rougeâtres… Et il y a aussi l’étroit littoral entre les rochers et la mer, de grandes terres rouges où les tuileries, la grande industrie de la contrée, ont creusé d’immenses trous pour extraire l’argile. C’est un sol crevassé, bouleversé… Le long des murailles qui jettent des réverbérations de fours, de petits lézards dorment tandis que, du brasier des herbes roussies, des nuées de sauterelles s’envolent avec un crépitement d’étincelles.
et le travail des ouvrières :
Un matin, le père Micoulin avait réfléchi que cette grande fille pouvait lui rapporter trente sous par jour. Alors il l’émancipa, il l’envoya travailler dans une tuilerie. Bien que le travail y fut très dur, Naïs était enchantée. Elle partait dès le matin, allait de l’autre côté de l’Estaque et restait jusqu’au soir au grand soleil, à retourner des tuiles pour les faire sécher. Ses mains s’usaient à cette corvée de manœuvre, mais elle ne sentait plus son père derrière son dos, elle riait librement avec des garçons.

