de la kakavia à la bouillabaisse
On sait qu’au VIe siècle les pêcheurs grecs faisaient déjà un ragout de poissons dans une kakavia ! (nom de la marmite qu’ils utilisaient pour faire bouillir les restants de leur pêche). On peut donc penser que les Grecs qui créèrent Massalia sont à l’origine de notre bouillabaisse marseillaise. Ce simple « ragout du pêcheur » est devenu un plat de luxe qui a fait la renommée des grands restaurants marseillais depuis plus de deux siècles.
Origine du nom
Le mot « bouillabaisse » est imprimé pour la première fois en 1785 dans le « Dictionnaire de la Provence » du Dr. Achard :
Bouilho-baisso : terme de pêcheurs qui consiste à faire bouillir du poisson dans de l’eau de mer. L’on dit bouilho-baisso parce que dès que le pot bout, on le tire du feu, on l’abaisse,
« La Bouillabaisse », apparait en 1786 comme enseigne d’un restaurant parisien renommé pour sa cuisine du Sud, « Les frères Provençaux » (en fait trois amis et beaux frères : Barthelemy, Maneille et Simon).
Une définition plus complète du mot bouillabaisse est donnée par Frédéric Mistral dans « Le Trésor du Félibrige » en 1878.

La recette dans les livres de cuisine

« LE LIVRE DE CUISINE » qui parait en 1867 est un des premiers ouvrages comprenant la recette de la bouillabaisse ; son auteur, Jules Gouffé officier de bouche du Jockey-Club de Paris, classe ce plat dans les soupes; le safran ne fait pas partie des ingrédients cités dans cette première édition (il l’ajoutera dans l’édition suivante).
Dans « LES SECRETS DE LA CUISINE DÉVOILÉS », Marius Morard donne en 1886 la recette de la bouillabaisse de Roubion sous forme de poème ainsi que celles de St Jean et des pêcheurs.


Dans son « GRAND DICTIONNAIRE DE LA CUISINE » Alexandre Dumas donne la recette de Roubion (restaurant La Réserve dans l’anse du Pharo) ; elle a la particularité d’inclure un zeste d’orange séchée !
Pour exécuter ce plat typiquement marseillais, on doit suivre la recette traditionnelle qui se trouve dans le livre de J.B. Reboul : LA CUISINIÈRE PROVENCALE (livre paru en 1900 et qu’on offre depuis traditionnellement dans ma famille en cadeau à toute jeune mariée marseillaise).


« LE GUIDE CULINAIRE » d’Auguste Escoffier parait en 1901; le grand chef préconise la méthode de son ami Apollon Caillat (cuisinier au restaurant « Le Louvre et Paix » à Marseille; président de la Sté de secours mutuels des cuisiniers de Marseille, « Le Vatel » en 1937 ).
Dans « L’AIDE MÉMOIRE DU CUISINIER », les professionnels trouvaient la recette de la bouillabaisse marseillaise suivie de la recette d’une bouillabaisse dite « parisienne » et d’une autre dite « de morue » !

Les variantes : la bouillabaisse borgne (avec des œufs), la bouillabaisse noire (avec l’encre des seiches), la bouillabaisse de Paris ! ( liée au beurre)
De nombreux qualificatifs de ce plat sont ajoutés comme étant une « spécialité » sur les cartes des restaurants marseillais dont il fait la réputation, rendant ainsi chacune de ces bouillabaisses unique : intemporelle… tradition… incontournable… authentique... gastronomique !


Une « Charte de la bouillabaisse » a été établie en 1980 par 17 restaurateurs de Marseille, Cassis et Martigues . Le dépliant illustré par un tableau de Pierre Ambroggiani y décrivait l’historique de ce plat, la manière de le servir, les différents poissons et ingrédients entrant dans sa composition ainsi que la recette traditionnelle. Les jeunes cuisiniers du XXIe siècle délaissent cette charte, apportant leur touche personnelle dans leur bouillabaisse.
Une renommée internationale
En 1895, seuls deux hôtels (Orléans et Beauséjour) utilisent dans l’Indicateur marseillais, un encart publicitaire important mettant en relief leur bouillabaisse; le nom de « Pascal » est juste mis en relief au milieu de la liste des 300 autres restaurants marseillais :

En 1900, les noms de trois grands « spécialistes de la bouillabaisse » – Basso, Pascal et Isnard – sont mis en relief dans la liste des restaurants de l’Indicateur marseillais. Pascal propose déjà l’expédition de sa bouillabaisse « en colis postal ».
Aujourd’hui, la bouillabaisse peut être livrée « à domicile » par les restaurants marseillais ou expédiée par des conserveries spécialisées.
La bouillabaisse en littérature
Des auteurs aux textes poétiques ou des amateurs de bonne chère, grandiloquents…
Alexandre Dumas cite Roubion et Isnard (restaurant La Réserve du Pharo) : « les seuls praticiens chez qui on mange la véritable bouillabaisse aux trois poissons »
.Gustave Flaubert en 1851 : « Je suis à Marseille, la mer est bleue, je me bourre de bouillabaisse ».
Théodore de Banville défendait la recette de Rambaldi : « Je ne puis résister au désir de transcrire ici la recette de ce chef-d’œuvre et d’offrir ainsi à la race future un trésor inappréciable; d’ailleurs, n’est-ce pas là pour moi un moyen tout trouvé de nager en plein sublime ? Car une bouillabaisse réussie vaut un sonnet sans défaut … la recette n’est rien si on n’a pas de génie. Mais quel Sésame-ouvre-toi entre les mains d’un cuisinier inspiré ! Pour moi qui suis presque un profane en ces matières, je n’ose insister plus longtemps sur l’excellence d’un plat dont les délicates saveurs eussent emporté Brillat-Savarin dans le septième ciel… « (avril 1860, sur l’île de Saint-Honorat).
Joseph Mery : Dans Marseille et les Marseillais (1860), il décrit la recette de la bouillabaisse tout au long de 40 vers (assez indigestes) :
« … Donc avant le poème, il faut d’abord qu’on fasse Un coulis sérieux en guise de préface, Et quel coulis ! Il faut que le menu fretin De cent petits poissons, recueillis le matin, Distille avec lenteur, sur un feu sans fumée, Le liquide trésor d’une sauce embaumée;«
Il poursuit décrivant avec emphase tous les ingrédients de la bouillabaisse : poissons, herbes, épices et termine par :
Allez au Château-Vert, commandez un repas et dites « je veux du bon et ne marchande pas : envoyez le plongeur sous ces roches marines dont le divin parfum réjouit mes narines ».
Elzéard Rougier dans « Marseille et son Vieux-Port » décrit en 1909 « quelqu’une de ces bouillabaisses fameuses où les poissons semblent nager dans de l’or en fusion ».
Marcel Pagnol : « Dans le monde entier, mon cher Panisse, tout le monde croit que les Marseillais se nourrissent de bouillabaisse et d’aïoli » Fanny 1932.
La bouillabaisse en peinture
Des peintres du XXe siècle ont évoqué « la bouillabaisse » dans des œuvres aux styles divers : Pierre Ambroggiani, Antonin Artaud, Baboulène, Claude Bianchi, Pierre Bonnard, Oleg Zinger, ainsi que des contemporains : Marie Boucher, Jacques Desvaux.
La bouillabaisse en chansons
De nombreux paroliers et de nombreux interprètes ont célébré la bouillabaisse

le plus célèbre des refrains fut lancé par Fernandel : » Ah! que c’est bon la bouillabaisse » .
Et célébrée par un timbre éphémère


Merci pour ce vaste tour d’horizon de l’un de nos plats de référence (documenté, sourcé, illustré)
Le sam. 18 oct. 2025 à 10:53, La Butte Bompard : Mémoire d’un quartier de Marseil
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